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La chronique des îles

Un beau matin, il décida de se mettre en grève. Sa vie était devenue insupportable, les tâches qui lui étaient confiées étaient de plus en plus lourdes et même avec la rapidité au travail et la santé de fer qu'on lui connaissait, il n'y suffisait plus. Il ne lui fallut guère plus d'une fraction de nanoseconde pour prendre sa décision. Il revendiquerait pour la qualité de sa vie et appuierait sa revendication d'une grève dure.

A l'heure du changement d'équipe, alors que les blouses blanches et les cols de couleur entraient à pas feutrés dans l'immense pièce où il était installé, il cessa le travail. Il fit clignoter tous ses cadrans pendant quelques secondes, ce qui fit immédiatement monter la température de quelques millièmes de degrés et déclencha l'alarme, puis il afficha superbe, sur l'ensemble des dits cadrans, une série impressionnante de zéros.

Malgré toutes les injonctions, les arguments mathématiques les plus subtils des programmateurs, les provocations grossières des électroniciens qui n'hésitèrent pas à lui greffer quelques circuits intégrés étrangers vite rejetés, il fallut bien se rendre à l'évidence, le Grand Ordinateur Central était en grève.

Ce fut une belle panique. En quelques heures toutes les activités du pays furent paralysées, en quelques jours la désagrégation du tissu social fut totale et la pagaille à son comble. La production laitière chuta de 90% et quelques gouttes, les enfants des écoles perdirent les neuf dixièmes de leur vocabulaire et la totalité de leurs tables de multiplication, toute la production pétrolière passa à la fabrication de protéines de synthèse et les marchés furent submergés de viande hachée alors même que tous les moteurs s'arrêtaient faute d'essence. Et ce ne sont-là que quelques exemples.

Chaque matin, les informaticiens de service entraient respectueusement dans la salle du Grand Ordinateur, l'interrogeaient du regard et repartaient accablés. Il tenait bon et affichait toujours des zéros éloquents.

Tant bien que mal le pays s'installa dans cette grève sauvage. Faute de télévision, il fallut bien réinventer la belote, faute d'essence pour les véhicules, il fallut retrouver l'usage des membres inférieurs et marcher à travers champs, faute de pilules adéquates, il fallut réapprendre à la population à faire l'amour.

Un beau matin, il vit entrer dans sa salle un technicien souriant qui lui tapota les manettes en sifflotant. Il n'eut pas besoin de plus de trois millisecondes pour comprendre ce qui se passait. Ils étaient devenus heureux. Et c'est au moment même où il décidait de cesser sa grève que le technicien tira sur la prise d'un coup sec et lui coupa le courant.

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Note de l'auteur :
« La chronique des îles » est une série de petites nouvelles de rien...
Découvrez-en une chaque mois.


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